Prologue en lecture

J'ai laissé en lecture le prologue et mis  à l'abri les chapitres suivants aux fins d'assurer à une éventuelle édition tout l'inédit souhaité...

L'auteur
Prologue - 

                                            Prologue



La journée s’achevait suffocante… Le soleil avait surchauffé les toits de la ville de Vhéda et transformé l’atmosphère de ses ruelles en une étuve aux senteurs intolérables. En cette été 1318, cela faisait un mois qu’il n’était plus tombé la moindre goutte d’eau sur ce petit royaume enclavé comme un carcan de mystère entre deux puissants voisins dont il subissait les pulsations. A l’est, s’étendait la plaine de Volonie dont les marais faisaient antichambre aux principautés russes… A l’ouest, trônait la grande Pologne où s’ouvrait la porte de la culture occidentale. Au sud, la barrière des Carpates se devinait par ses dentelures estompées par la brume…Mais le Pic des Ténèbres qui, au bout de la route poudreuse barrait l’horizon, témoignait que l’on n’était pas loin du massif montagneux et de ses passes dangereuses.
Il fallait être fou ou avoir la foi pour braver, en cet après-midi, la fournaise et la poussière du chemin menant vers la silhouette du pic menaçant.
La foi, ils l’avaient doublement ces hommes gris constituant la petite troupe qui faisait mouvement en murmurant de temps à autre, à travers leurs lèvres assoiffées, quelques litanies aussitôt étouffées dans la poussière qui collait à tout en uniformisant couleurs et identités. Il y avait là une vingtaine d’hommes… Des moines, plus précisément, qui escortaient un lourd chariot tiré par quatre chevaux robustes. Point d’apparat, la bure des moines était grise autant que les tentures qui masquaient l’intérieur du chariot l’étaient de poussière.
L’un des hommes perdit une sandale et s’arrêta pour la récupérer. Mais, s’étant retourné, il se figea à la vue de l’horizon dont lui et ses compagnons n’avaient pas remarqué la noirceur, faute de lui tourner le dos. Il poussa un cri et désigna aux autres la barre opaque qui masquait déjà le ciel aux deux tiers.
- Un orage ! s’écria-t-il
- Oui, et il s’annonce terrible ! surenchérit son compagnon
L’homme qui menait les chevaux par la bride s’étant arrêté, ceux-ci en firent autant et en grinçant sur ses essieux, le chariot s’immobilisa. Une voix étouffée demanda :
- Que se passe-t-il ? Pourquoi s’arrête-t-on ?
Un moine s’approcha de la portière et, écartant la tenture dans un
soulèvement de poussière, lança en direction de l’intérieur :
- Un orage, Votre Grandeur ! Il sera sur nous dans moins d’une heure !
- Raison de plus pour presser le pas ! ordonna la voix.
Un fouet claqua, les chevaux s’ébranlèrent à nouveau et on doubla l’allure. Mais, dès cet instant, les moines se retournaient sans cesse comme s’ils craignaient que le diable, qui allait bientôt déchaîner sa foudre, n’apparaisse en personne du haut de la nuée infernale.

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- On aurait dû rester à Vhéda et l’on pourrait même regagner la ville
à temps ! bougonna l’un des moines qui fermait la marche.
- Revenir en arrière ? Il n’acceptera pas, il est bien trop pressé
d’arriver là-haut ! Répliqua son plus proche compagnon.
- Je ne comprends pas… Quitter la place privilégiée qu’il occupait
auprès de la Fondation de l’Ordre pour venir remplir le rôle ingrat d’Abbé en ce monastère inachevé ! marmonna-t-il en désignant avec dédain la pointe du Pic des Ténèbres.
- Je me suis laissé dire… (l’ autre moine s’interrompit et tendant le cou s’assura qu’aucune oreille indiscrète ne lui prêtait attention)… que certains faits mystérieux auraient contribué au non achèvement de ce monastère…
On raconte même qu’il est établi sur les vestiges d’un château dont
le propriétaire était le diable en personne.
- Ah ! s’exclama l’autre. Remplacer le diable par la paix divine me paraît apaisant !
- Oui ! Pour autant que le diable ait quitté les lieux et là…
Des exclamations parties de l’avant interrompirent ces confidences.
A la courbure du chemin une troupe de moines attendaient et de l’intérieur du chariot, "sa Grandeur" se fit expliquer la raison de ce joyeux tumulte.
- Ceux du monastère sont venus à notre rencontre, Votre Grandeur et nous allons avoir besoin d’eux pour trouver abri car l’orage est sur nous.
Donnant raison à ces dires, un grondement lointain roula d’échos en échos tandis que le vent souleva la poussière et fit bruisser les feuillages.
Les deux groupes avaient fait jonction et un moine plus âgé se détacha des nouveaux venus et s’approcha du chariot.
- Je suis Frère Benoît et je dirige l’intendance au monastère du Pic des Ténèbres… Au nom de sa communauté, je vous souhaite la bienvenue, Votre Grandeur!...
La lourde tenture, qui faisait fonction de portière latérale au chariot, fut écartée par une main osseuse tandis qu’une voix ferme répliquait :
- Je vous attendais, Frère Benoît… Montez, je vous prie !...
Frère Benoît courba la tête et se glissa à l’intérieur… Deux banquettes recouvertes de velours pourpre se faisaient face. Celui que tous appelaient "Votre Grandeur" occupait l’une d’elles. L’homme était de grande taille. Il avait le front dégarni, la peau parcheminée et le regard d’acier. Ses lèvres fines et serrées ne devaient pas avoir l’habitude du sourire. Il invita le nouvel arrivant à prendre place en face de lui.
- Veuillez excuser, Frère Benoît, la pénombre de ce lieu d’accueil, mais la lumière du soleil m’est insoutenable depuis quelques années.

3

- C’est dans l’ombre que naissent les réflexions de valeur… susurra Frère Benoît qui dû se tenir à la banquette car le chariot avait refait mouvement.
- Nous ne pourrons monter là-haut tant que cet orage n’aura point
vidé ses mannes…Il y a, non loin devant, une ferme dont le toit offrira une protection contre la fureur céleste.
L’Abbé, (donnons lui son nouveau titre) eut un mouvement de contrariété…
- J’aurais espéré être au monastère avant la nuit.
- Avant ou pendant, cela ne tardera guère. J’ai fait apporter une chaise à porteurs et le reste du groupe nous attend à la métairie
- Ne croyez-vous pas que tout ce déploiement n’attire l’attention de l’autre. J’avais pourtant insisté pour que mon arrivée passe inaperçue.
Elle le sera Votre Grandeur, le monastère est vaste et la troupe se dispersera avant ses contreforts. De plus, ajouta-t-il rassurant, la nuit nous sera propice.
Les premières gouttes de pluie entachaient la poussière sur le sol lorsque, la troupe pénétra dans la cour de la métairie. Guidé par les moines le chariot s’engouffra dans une vaste grange, mais l’Abbé n’en descendit point. Il se fit apporter une chandelle et servir une collation qu’il partagea avec Frère Benoît. Alors, tandis que la bourrasque éparpillait sa foudre sur la campagne échevelée, le nouvel abbé tenait sa première audience au pied du pic portant le monastère, qu’il avait pour charge,de réformer et de remettre dans la ligne des lois de l’Eglise de Dieu garant humain.
L’abbé s’essuya les lèvres, et après une pause de réflexions, appuya
Sur une question :
- Cela fait deux ans que les travaux du monastère ont débuté.
Deux ans ! Un de trop ! L’œuvre devrait être couronnée en ce moment par la pointe de l’église abbatiale et, d’après ce que j’en sais, il n’y a toujours en son centre qu’un trou d’où sort une carcasse métallique tordue comme un chêne foudroyé.
- Ce n’est pas un trou, Votre Grandeur, mais un gouffre qu’il nous faut
combler et dont nous n’avons pu, jusqu’à ce jour, extraire l’ossature de métal qui y est enracinée. Nous devons composer avec elle et l’inclure dans les fondations de l’église.
- Ne croyez-vous pas plutôt Frère Benoît, qu’une présence maléfique trouble en ces lieux l’esprit de vos bâtisseurs, au point d’endormir leur foi et leur ouvrage.
- Nous ne nous sommes, jusqu’à présent, octroyé aucun répit et, à ma connaissance, aucune manifestation du Malin n’a troublé la bonne marche de nos aspirations.
- Je ne veux pas parler du Malin mais, de sa créature que vous appelez "Tyo", je pense, et dont la nature humaine, selon les rapports que je possède, me paraît très contestable.

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- Tyo !... Mystérieuse créature, je vous l’accorde, mais, sans elle, bien des problèmes n’auraient trouvé leur solution et ce n’est pas d’un an, mais de deux ou de trois, que nous serions en retard.
- Naïve confiance, Frère Benoît, une femme dans un monastère c’est en dehors de toute logique. De plus, une créature qui a le visage d’une femme pour se faire accepter et qui se mêle de surcroît de bâtir la maison de Dieu, sur des connaissances qui vous dépassent, voilà qui est singulier et, faute de preuves, diabolique.
- Le diable serait toujours dans les fondations du château du Pic des Ténèbres si Tyo ne l’en avait chassé.
- Vous avez vécu la chose ?
- Non, je l’ai lu dans les rapports consignés là-haut dans la bibliothèque et, ceux qui aurait pu m’en parler de vive voix, ont été transférés en d’autres monastères sur la volonté des hautes instances de l’Ordre. Pouvez-vous m’en expliquer la raison ?
- Les Hautes Instances avaient leurs raisons surtout en ces temps troubles, où l’Eglise se cherche une nouvelle entité difficile à établir suite aux divisions dont elle a été le siège. L’Abbé enchaîna :
- Que disent là-haut ces rapports ?... L’essentiel, je vous prie.
Frère Benoît fronça les sourcils en rassemblant dans sa mémoire les faits qu’il avait lus et relus et, estimant le résumé suffisamment clair, il l’exposa :
- Cela remonte il y a deux ans… Le château du Pic des Ténèbres abritait un seigneur froid, aux décisions implacables, qui se faisait appeler le Prince des Lumières, et avait pris une telle ascendance sur le monarque du Royaume de Vhéda qu’il l’avait relégué dans un château de ses basses terres… En ce temps là, un orage éclatait tous les soirs au-dessus du Pic des Ténèbres et la foudre était avalée par des orifices percés à la base même du prétentieux donjon. Vers où allait ce feu de Satan ? A qui était-il destiné ? Nul ne chercha à le savoir car tous dans le château vivaient dans la terreur lorsque la nuit ramenait l’orage.
C’est alors que Tyo fit son apparition. Selon les rapports et les rumeurs sur lesquelles ils reposent, cette femme prétendait venir de l’immensité du ciel où scintillent les étoiles et, avoir été créée à l’image de la femme pour vivre parmi les hommes et y accomplir une mission.
- Mais, c’est une hérétique ! Et elle aurait dû être brûlée comme telle ! s’ exclama l’Abbé.
- Certains y ont pensé mais, le feu qui sortait des yeux de Tyo était plus brûlant que le leur et ils se rendirent compte qu’ils pouvaient l’utiliser pour anéantir l’influence du Prince des Lumières, quitte à se débarrasser d’elle après. Elle vint au château, rencontra le P rince des Lumières mais nul ne sut ce qu’ils se dirent. Un soir, profitant de l’absence du Prince, Tyo descendit dans les souterrains, découvrit la puissance maléfique qui l’habitait et réussit à l’anéantir.
- L’anéantir ?... Quelles armes a-t-elle donc employées pour vaincre la puissance du diable ?

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- La ruse ! Les propres armes du diable, Votre Grandeur : la ruse et la foudre qui, s’acharnant en cette nuit historique sur le cœur du donjon, le fit éclater mettant à jour cette carcasse de métal, dernier vestige, désormais mort, de la puissance que nul, à part Tyo, n’a jamais pu définir.
- Selon mes rapports à moi, elle aurait également perdu la vie dans cette exploit et permis aux moines de découvrir qu’elle n’était qu’un être artificiel au squelette de métal, ne possédant ni chair ni sang. Le Tribunal d’Inquisition aurait voulu la brûler, mais un homme nommé Grégoire et un moine : Frère Adrien auraient volé son corps pour l’emporter vers quelques destination inconnue. Et voilà qu’on la retrouve là-haut, bien « vivante » cette fois !
- C’est un mystère Votre Grandeur. Le rapport dit qu’elle a été se faire réparer parmi les étoiles pour nous revenir et nous assister dans la construction de l’Abbaye.
- Belle naïveté ! Morte on la condamne a être brûlée et vivante on plie le genoux devant elle.
- Les rapports font état, et le présent nous le prouve, d’une très grande bonté qui se dégage de cette femme.
- Fabriquée ou non, on ne peut rien lui reprocher qui ne soit dans la ligne de charité qui préside à nos actes.
- Que fait-elle là-haut en ce moment ?
- Elle s’instruit, elle assimile avec une rapidité déconcertante tous les écrits de la bibliothèque et principalement tout ce qui a trait aux civilisations des barbares de l’est, des mongols et des tartares en particulier.
L’ Abbé s’étrangla entre deux bouchées.
- Les tartares ? Les mongols ? Mais ce sont des infidèles, des hérétiques, qui au seuil de nos frontières menacent nos civilisations ! Est-ce pour les combattre qu’elle assimile leurs connaissances, ou pour mieux composer un jour avec eux ? Et se signant, il ajouta :
- Il était temps que l’on m’envoie en ces lieux.
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